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pour Bloyt

«Puisque ne jamais commettre de faute est hors de portée de la nature humaine il faut donc aussi parler des fautes qui se produisent dans une amitié, ainsi que de la façon dont on doit les réduire et y remédier quand elles surviennent. Car en vérité l’ami ne ressemble en rien et d’aucune manière au flatteur ; au contraire, il en est on ne peut plus éloigné, étant donné que le flatteur applaudit à tout, alors que l’ami ne montrerait aucune complaisance quand tu commets des erreurs. En effet, pour le premier, le but de l’affaire, c’est de tirer profit et de se remplir le ventre, et ce n’est pas toi qu’il admire, mais tes richesses ou ton pouvoir. Il n’a donc cure de ta situation. Il s’inquiète seulement de ce que celle-ci ne soit pas la meilleure, afin de réaliser le plus facilement possible ses propres bénéfices. L’ami, en revanche, c’est à toi seul qu’il fait attention, à toi seul qu’il est attaché, et il voudrait que tu ne subisses aucun mal. Il faut donc enlever les défauts doucement, sans causer de gros chagrins, ni se laisser fléchir ; mais de même que les médecins délaissent souvent le scalpel au profit de remèdes qui guérissent la maladie sans causer de douleur, c’est comme cela que tu dois aussi, toi, soigner ton ami. Car toi aussi, en vue de la guérison, tu peux employer des remèdes au lieu de brûler et de couper. Et ces remèdes, ce sont des paroles pleines de bienveillance et de franchise, non point des paroles doucereuses et qui visent à plaire, car ces dernières nourrissent et abreuvent le mal ; mais les paroles dures, véridiques et pleines de franchise ne constituent pas des reproches (car l’admonestation diffère infiniment de l’injure, et la réprimande, du reproche, non seulement par la pensée de celui qui s’exprime, mais aussi par l’expression elle-même), puisqu’elles admonestent sans injurier et corrigent sans faire reproche. Aussi faut-il, dans un tel cas, prendre garde de ne pas proférer les paroles blessantes sans les avoir diluées, et d’y ajouter plutôt quelque chose de doux et d’agréable, comme on ajoute du miel à une potion amère, mais salutaire. Celui qui agira de la sorte empêchera que la répu­gnance ne fasse rejeter le remède et renvoyer le médecin, car moi j’appelle cela de l’incompétence médicale, tout comme le fait de trouver contre les maladies des remèdes dont l’effet est d’attiser les infirmités. Aussi je ne loue pas non plus celui qui accorde à son patient toutes les nourritures et les boissons qui augmentent et développent la maladie, devenant ainsi un échanson ou un maître d’hôtel, au lieu d’un thérapeute. Ainsi donc l’excès n’a pas non plus sa place dans l’amitié. Car chacune des deux routes mène à sa façon ailleurs que là où l’on doit arriver. En effet, l’une conduit à la flatterie, tandis que l’autre aboutit à la haine.»

Thémistius, Discours sur l’amitié, 2272 a 6 – c 23
in Sagesses de l’amitié, Cerf 1997