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Dominique Roques & Alexis Dormal, Pico Bogue – la vie et moi, Dargaud p. 27

« Quiconque s’est fait du corps une représentation tant soit peu exacte — des nombreux systèmes qui y collaborent, de tout ce qui s’y fait en solidarité ou en hostilité réciproque, de l’extrême subtilité des compromis qui s’y établissent, etc. — jugera que toute espèce de conscience est pauvre et étroite en comparaison, que nul esprit ne suffirait, même de loin, à la tâche qui incomberait ici à l’esprit, et peut-être aussi que le plus sage des moralistes et des législateurs se sentirait gauche et novice dans cette bataille des devoirs et des droits. Ce dont nous avons conscience, que c’est peu de chose ! A combien d’erreur et de confusion ce peu de conscient nous mène. C’est que la conscience n’est qu’un instrument ; et en égard à toutes les grandes choses qui s’opèrent dans l’inconscient, elle n’est, parmi les instruments, ni le plus nécessaire ni le plus admirable, — au contraire, il n’y a peut-être pas d’organe aussi mal développé, aucun qui travaille si mal de toutes les façons ; c’est en effet le dernier venu parmi les organes, un organe encore enfant — pardonnons lui ses enfantillages. (Parmi ceux-ci, à côté de beaucoup d’autres, la morale, qui est la somme des jugements de valeur antérieurs, relatifs aux actions et aux pensées humaines). Il nous faut donc renverser la hiérarchie : tout le « conscient » est d’importance secondaire ; du fait qu’il nous est plus proche, plus intime, ce n’est pas une raison, du moins pas une raison morale, pour l’estimer plus haut. Confondre la proximité avec l’importance, c’est là justement notre vieux préjugé. »

F. NIETZSCHE, Fragments posthumes