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Ce week-end, cherchant à tout prix les moyens de procrastiner j’en suis venu à lire Gadamer. C’est à cette occasion que je suis tombé sur cet texte  :

« A côté de la logique du langage et de la théorie de la science qui appliquent soigneusement au problème du langage leur art logique et analytique, devront intervenir de tout autres formes de recherche scientifique et philosophique si l’on ne veut pas mutiler la véritable universalité du langage et de la raison. Aujourd’hui il me semble qu’en Amérique un tel mouvement est déjà en cours avec une grande ampleur — dans quelques pays européens aussi il y a des commencements en ce sens —, il s’appuie sur l’importance de la rhétorique comme science du parler, comme art de faire admettre le vraisemblable grâce au langage. Précisément à une époque dont la conscience de soi se situe dans la science, il importe de rappeler que la science, en dehors des étroits lieux de recherche, et dans une certaine mesure, même à l’intérieur de ceux-ci, n’aurait tout simplement aucune influence sans la rhétorique, c’est-à-dire sans l’art de faire admettre à d’autres ce qu’ils ne pouvaient pas comprendre. A l’égard de la physique, nous sommes tous dans cette situation déplorable de ne comprendre d’elle absolument rien, et pourtant de vivre de ses découvertes ; à cause de cela, nous relevons de l’art légitime, exercé en un sens large, d’engendrer la conviction. Cet art me paraît en fait tout aussi nécessaire à la situation exacte de la connaissance humaine que la théorie de la science et sa méthodologie. »

H.G. Gadamer, La philosophie dans la société moderne, in Le problème de l’herméneutique
L’art de comprendre, Aubier 1982, p. 24

L’argument donné en faveur de l’importance de la rhétorique jusque dans une  « époque dont la conscience de soi se situe dans la science » me fait penser à ce fameux passage du Gorgias de Platon

GORGIAS — Que dirais-tu, si tu savais tout, si tu savais qu’elle [la rhétorique] embrasse pour ainsi dire en elle-même toutes les puis­sances. Je vais t’en donner une preuve frappante. J’ai souvent accompagné mon frère et d’autres médecins chez quelqu’un de leurs malades qui refusait de boire une potion ou de se laisser amputer ou cautériser par le médecin. Or tandis que celui-ci n’arrivait pas à les persuader, je l’ai fait, moi, sans autre art que la rhétorique. Qu’un orateur et un médecin se rendent dans la ville que tu voudras, s’il faut discuter dans l’assemblée du peuple ou dans quelque autre réunion pour décider lequel des deux doit être élu comme médecin, j’affirme que le médecin ne comptera pour rien et que l’orateur sera préféré, s’il le veut. Et quel que soit l’artisan avec lequel il sera en concurrence, l’orateur se fera choisir préféra­blement à tout autre ; car il n’est pas de sujet sur lequel l’homme habile à parler ne parle devant la foule d’une manière plus persuasive que n’importe quel artisan. Telle est la puissance et la nature de la rhétorique.