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J’ai découvert cet après-midi qu’il est possible d’acheter des cartes de condoléances par lots de cinq. J’en suis resté stupéfait au point d’oublier de vérifier s’il en allait de même pour les cartes d’anniversaires ou de félicitations pour les mariages ou les naissances. Je tenais à faire partager mon étonnement au risque de passer pour « le gars qui débarque ». Je présume que cela n’a rien de nouveau et que c’est seulement parce que j’ai la chance de ne pas encore avoir trop souvent à faire ce genre d’achats que je viens seulement de découvrir la chose.

Comme il n’est pas vraisemblable que ces lots ne soient achetés qu’à l’occasion des décès collectifs – les accidents de car n’étant pas si nombreux – j’en conclus qu’ils visent le marché des personnes prévoyantes qui achètent leurs cartes de condoléances par anticipation. Loin de moi l’idée de contester que c’est le genre d’article qui, malheureusement, finit toujours par servir. Je saisis même la rationalité de cet achat groupé : non seulement on peut supposer que le coût unitaire se trouve réduit, mais, de plus, le fait de disposer chez soi de cartes de condoléances avant l’annonce de la « triste nouvelle » permet de réagir plus rapidement (la To-do list n’a plus que deux items : penser à écrire la carte et penser à la poster) et de réduire le risque d’oublis malséants. Pourtant je ne m’imagine pas acheter des cartes de condoléances par anticipation.  Je trouve deux motifs à cette réticence. Premièrement, même si les mariages, les naissances, les décès, sont des événement qui sont dans l’ordre des choses, chacun de ces événements nous importe dans sa singularité, raison pour laquelle la carte envoyée pour l’occasion doit aussi être achetée pour l’occasion (inversement si on se met à acheter ses cartes de condoléances par anticipation, pourquoi ne pas aussi les écrire par anticipation, quand on a un moment de libre ?). A mes yeux, la carte de condoléance envoyée pour le décès de l’oncle Raymond ne peut pas avoir été achetée à un moment quelconque, de telle sorte qu’elle aurait aussi bien pu être envoyée pour le décès du conjoint d’un collègue ou de la mère d’un voisin. Cette idée me semble valoir indépendamment des considérations de personnalisation du choix de la carte (considérations qui jouent davantage pour les anniversaires ou les mariages que pour les condoléances où la sobriété est de mise). On rétorquera peut-être que cet argument vaut contre les achats par lots, mais pas contre les achats individuels effectués par avance, quand l’événement qui justifie l’envoi de la carte est prévisible. Ceci me conduit à mon second motif.  Je pense que je ne suis pas le seul à trouver qu’il y aurait une faute de goût à acheter la carte de condoléance pour la femme de l’oncle Raymond, par anticipation, au motif qu’il n’en a plus pour longtemps et que comme ça ce sera fait ! … Ne serait-ce pas comme le pousser vers le tombeau ? Je reconnais que ma réticence a quelque chose de superstitieux : acheter par avance des cartes de condoléances serait tenter le destin qui n’a pas besoin de cela.

Je pontifie, mais je devine que la vie saura me mettre au pas. Lorsque, à mon tour, je ne sortirai plus que « pour suivre au soleil, l’enterrement d’un plus vieux, l’enterrement d’une plus laide », peut-être serai-je plus sensible à l’intérêt des ces achats groupés.