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Que A prenne B pour un imbécile sans apercevoir que B se rend compte qu’il le prend pour un imbécile, voilà qui, à la réflexion, ne devrait pas paraître surprenant. Supposer l’autre incapable de discerner la manière dont on le considère, c’est justement le créditer d’une forme d’imbécillité. Mais on risque de se méprendre si on croit que l’erreur de A, dans ce genre de cas, consiste seulement à surestimer l’imbécillité de B. L’aveuglement de A est souvent plus profond : il ne se rend même pas même compte du fait qu’il prend B pour un imbécile. Faut-il en conclure qu’en l’occurrence c’est A le plus imbécile des deux, ou ne faut-il pas plutôt admettre qu’il est plus facile de se rendre compte qu’on est pris pour un imbécile que de se rendre compte qu’on prend l’autre pour un imbécile?
J’ai du mal à croire qu’on puisse prendre quelqu’un pour un imbécile sans s’en rendre compte. Comment peut-on surestimer l’imbécillité de quelqu’un sans en avoir conscience ?
Si on enlève toute conscience à la conduite en question, que reste-t-il dans le cadre d’une interprétation comportementaliste donc ?
Par exemple le comportement d’expliquer ce que l’autre sait déjà.
Soit, mais, si, chez celui qui explique il n’y a aucun jugement sur celui à qui il explique, pourquoi ne pas dire » tout se passe comme s’il le prenait pour un imbécile » ?
Car ce comportement trop explicatif pourrait être interprété de plusieurs manières en l’absence d’une pensée explicite chez l’expliquant : par exemple » il aime beaucoup expliquer » ou « il a peur de ne pas être compris » ou « il veut tellement aider autrui » etc.
Ceci dit, il ne suffit sans doute pas que le locuteur ait conscience de prendre l’autre pour un imbécile pour qu’on sache qu’il le prend pour un imbécile car on peut interpréter sa conscience de supériorité en disant « il croit qu’il prend les autres pour des imbéciles mais en fait il explique juste très bien de a à z ce dont il parle. »
Je défendrai donc que la conscience de prendre x pour un imbécile est une condition nécessaire mais non suffisante du fait de prendre x pour un imbécile.
Ma gêne initiale vient sans doute de la tournure « prendre qqn pour » qui semble impliquer un jugement au moins dans la tête.
Comparez : « il prend x pour un imbécile mais ne le montre pas » et « il prend x pour un imbécile mais il ne le sait pas » : seul le deuxième énoncé produit un malaise, ce qui suggère une intériorité essentielle du phénomène.
Permettez-moi d’invoquer l’autorité de Descartes pour me justifier :
« pour savoir quelles étaient véritablement leurs opinions, je devais plutôt prendre garde à ce qu’ils pratiquaient qu’à ce qu’ils disaient; non seulement à cause qu’en la corruption de nos mœurs il y a peu de gens qui veuillent dire tout ce qu’ils croient, mais aussi à cause que plusieurs l’ignorent eux-mêmes, car l’action de la pensée par laquelle on croit une chose, étant différente de celle par laquelle on connaît qu’on la croit, elles sont souvent l’une sans l’autre »
« pourquoi ne pas dire « tout se passe comme s’il le prenait pour un imbécile » ? »
En effet peut-être qu’en toute en toute rigueur il faudrait s’exprimer ainsi.
« Car ce comportement trop explicatif pourrait être interprété de plusieurs manières en l’absence d’une pensée explicite chez l’expliquant : par exemple » il aime beaucoup expliquer » ou « il a peur de ne pas être compris » ou « il veut tellement aider autrui » etc. »
Soit, mais quand ce comportement explicatif n’a lieu qu’avec une certaine personne ou une certaine catégorie de personnes, la gamme de ces explications alternatives tend à se restreindre.
Parmi les exemples que j’avais en tête il y a les excuses que les élèves servent aux professeurs pour justifier un retard dans la remise d’un devoir. Je pense que, dans un certain nombre de ces cas, l’élève pense que son excuse sera crue, mais qu’il ne se rend pas compte que pour que son professeur le croie il faudrait qu’il soit un imbécile.
J’espère que vous ne jugerez pas que je vous ai pris pour un imbécile !
Soyez rassuré !