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Je vois le dos d’un manteau gris
Dans une rue très basse sous la pluie

Je vois des pygmées sans conscience
Saluer leurs drapeaux en priant

Je vois des soldats dans la boue
Saluer les balles de la tête

Je vois des maisons démolies
Comme à plaisir pour une fête

Je vois un ventre ouvert en grand
Aux mouches au soleil pourri

Je vois les mains estropiées
Des vieillards menés à l’asile

Je vois des beautés inutiles
S’éteindre dans la nuit du doute

Et les fleurs sont artificielles
Et la terre devient stérile

Et je devrais bientôt me taire

Pourtant si je suis sur la terre
C’est que d’autre y sont aussi
Qui comme moi ont bégayé
Quand nous n’étions tout à fait muets

Il faut leur rendre la parole
Ils ont avalé le poison
Maudit leur mère et leur misère
Sans rien connaître d’exaltant

Il ne faut promettre et donner
La vie que pour la perpétuer
Comme on perpétue une rose
En l’encerclant de mains heureuses

Paul Eluard, Ailleurs ici partout, in Poésie ininterrompue