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« Il [Diogène le cynique] avait l’habitude de tout faire en public, les œuvres patronnées par Déméter aussi bien que celles d’Aphrodite. […] Se masturbant même en public, il disait : « Ah! si seulement on pouvait faire cesser la faim en se frottant le ventre! »

Diogène Laërce, VI, 69

Je me propose de poursuivre le parallèle entre les œuvres patronnées par Déméter et celles d’Aphrodite, en considérant non plus les différences de conditions de satisfaction des besoins qui relèvent de la nature, mais celles qui relèvent de la convention.

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La grande bouffe, Marco Ferreri

 

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Traditionnellement être « difficile » en matière alimentaire est considéré comme un défaut : les parents qui s’efforcent de diversifier l’alimentation de leur rejeton se réjouissent qu’il mange de tout et au contraire déplorent qu’il refuse certains aliments. Au cours du processus éducatif l’enfant est encouragé à faire un effort pour manger ce qu’il prétend ne pas aimer (« goûte au moins ! »), le refus d’un tel effort est frappé d’un blâme dont la teneur morale est plus ou  moins marquée (« pense aux petits enfants qui meurent de faim et qui seraient bien contents d’avoir des épinards »). Une fois parvenue à l’âge adulte, les personnes difficiles d’un point de vue alimentaire sont source d’embarras pour ceux qui leur préparent à manger, et sans les blâmer ouvertement, on sait le leur faire sentir.

A l’opposé il semble qu’en matière sexuelle c’est être « facile » qui soit un vice. La comparaison entre le registre alimentaire et le registre sexuel est compliquée par la forte disproportion entre les blâmes frappant respectivement la « facilité » masculine et la « facilité » féminine : être un « chaud lapin » n’est pas spécialement un compliment mais c’est certainement moins infamant qu’être « une salope qui a le feu au cul ». Au delà de cette asymétrie il demeure qu’être considéré comme « peu regardant » sur les personnes avec qui on a des relations sexuelles était plutôt considéré avec mépris.

On pourrait donc s’étonner de cette différence de traitement entre le domaine alimentaire et le domaine sexuel : pourquoi les filles faciles sont elles méprisées y compris par ceux qui bénéficient de leur facilité, alors qu’on pourrait au contraire louer leur contribution au bonheur collectif ? pourquoi inversement ne dit-on pas « il ne se respecte pas, il mange même des choux de Bruxelles »? On pourrait même rêver d’un monde où on pourrait assumer publiquement son appétit sexuel aussi aisément que sa gourmandise.