Hors des considérations de convenance dont j’ai fais état, je n’ai rien à redire au propos de Daniel Dennett que j’ai cité hier. Je souhaite cependant ajouter aujourd’hui une observation personnelle : il me semble qu’une expression comme « Nous – Dieu et moi » paraîtrait tout aussi étrange que le « Nous – mon huître et moi » de Dennett.
La raison de la bizarrerie de l’expression est évidemment très différente dans les deux cas. Le problème ne tient pas ici à l’absence d’esprit de Dieu mais à la disproportion supposée entre lui et nous. Il me semble que même les croyants qui attribuent au concours de Dieu la réussite de leurs actions (comme dans la formule attribuée à Jeanne d’Arc « les hommes d’arme combattront et Dieu donnera la victoire ») ne disent pas « Dieu et moi, nous avons fait telle chose ». Et quand bien même on me donnerait des contrexemples je persisterais à trouver une telle formulation étrange. S’il y a un Dieu et si on peut le considérer comme un agent son action ne concourt pas avec celle des agents humain comme les actions des agents humains concourent entre elles (les problèmes de la théodicée tiennent à cela me semble-t-il). On pourrait dire que les deux expressions suivantes
« je l’ai fais avec l’aide de X »
« X et moi, nous l’avons fait »
sont équivalentes quand X est un agent normal, pas quand X est Dieu.Add. Pour les motifs de la correction voir le commentaire de Philalète ci-dessous
Le problème d’un nous incluant moi et Dieu se pose peut-être de manière un peu différente quand on considère non plus une collaboration dans l’accomplissement d’une action (« Dieu et moi avons fait tomber les murs de Jéricho »), mais l’exercice de la pensée. (« Dieu et moi pensons que tu ne dois pas convoiter la femme de ton prochain »). Pourquoi une formule comme « Dieu et moi croyons que p » paraitrait elle particulièrement étrange ?
Si Dieu est supposé omniscient, dire « Dieu pense que p » revient à dire « p est vrai », et inversement dire « je tiens p pour vrai » revient à dire « je pense que Dieu pense que p » [1]. Je présume que si une expression comme « Dieu et moi pensons que …. » n’a pas d’usage c’est parce que sont exclues les expressions avec lesquelles elle ferait contraste comme
« je pense que P mais Dieu n’est pas d’accord avec moi »
ou
« Dieu pense que P mais je crois qu’il se trompe ».
*
On aura peut-être remarqué que je n’ai pas examiné les effets de l’idée chrétienne d’incarnation pour le problème que j’examinais aujourd’hui. Si un jour j’ai le temps de suivre une formation accélérée en christologie je reviendrais vous éclairer sur la question suivante : peut-on dire « Jésus et moi, nous sommes potes ».
[1] On pourrait certes faire observer que, de toutes façons, les propositions religieuses sont plutôt de la forme « Dieu a dit que p » que de la forme « Dieu pense que P », mais il me semble que cela ne change pas fondamentalement le problème. A l’omniscience divine il suffit alors d’ajouter la véracité pour pouvoir poser : « Dieu dit que p donc p » (en revanche on ne peut plus remonter de « P » à « Dieu a dit que P »).
« je l’ai fais avec l’aide de X »
« X et moi, nous l’avons fait »
sont équivalentes quand X est un agent normal, pas quand X est Dieu.
J’en doute : par exemple, « X et moi, nous avons fait l’amour » ne veut pas dire la même chose que « j’ai fait l’amour avec l’aide de X »
Vous avez raison, je me suis laissé emporter.
Je corrige.
Ne peut-on pas faire les mêmes remarques à propos de l’expression » mon ange gardien et moi » ? La raison ne serait plus la disproportion entre l’infini et le fini mais l’hétérogénéité du surnaturel, même doté d’un esprit, par rapport au naturel…
il y aurait alors deux conditions au moins pour que le nous ne soit pas saugrenu, la possession d’un esprit et l’absence de transcendance de l’autre esprit…
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