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Le vin perdu
J’ai, quelque jour, dans l’Océan,
(Mais je ne sais plus sous quels cieux),
Jeté, comme offrande au néant,
Tout un peu de vin précieux…
Qui voulut ta perte, ô liqueur?
J’obéis peut-être au devin?
Peut-être au souci de mon coeur,
Songeant au sang, versant le vin?
Sa transparence accoutumée
Après une rose fumée
Reprit aussi pure la mer…
Perdu ce vin, ivres les ondes!…
J’ai vu bondir dans l’air amer
Les figures les plus profondes…
Paul Valéry
(1) Paysage familier
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La plaine est comme un océan,
Comme un beau jardin sont les cieux ;
Leur vide n’est point le néant,
Il est peuplé de petits dieux.
L’air est plus doux qu’une liqueur,
Un oiseau crie comme un devin ;
Un poème chante en mon coeur
Et ma coupe est emplie de vin.
L’atmosphère inaccoutumée,
Sans brume ainsi que sans fumée,
Semble d’un rivage de mer.
Vers l’horizon, la lune est ronde
Et son rire n’est pas amer :
Son ivresse n’est point profonde.
(2) Amphore sans métaphores
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Je ne suis pas un océan,
Nous a dit l’amphore songeuse ;
Je ne contiens pas le néant
Ni la tempête ravageuse.
Mon âme n’est point belliqueuse,
Ce n’est pas un gouffre béant ;
Ma parole n’est pas moqueuse,
Mon maître n’est pas un géant.
Cette amphore inaccoutumée
Produit un écran de fumée,
Comme une brume sur la mer.
Vois-tu, sa forme n’est pas ronde,
Son vin n’est nullement amer ;
Bois-le si ta peine est profonde.