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Catherine de Sienne, le diable et le Bon Dieu, tentation, théodicée
Pour y voir plus clair sur les débats à propos de la tentation le mieux était de s’adresser à l’expert des experts, l’être omniscient : Dieu lui-même. Il se trouve qu’il a tenu, sur le sujet qui nous occupe, des propos très clairs dans une interview exclusive qu’il a accordé à Catherine de Sienne (entretiens publiés dans le Livre des dialogues, de cette dernière).

Notre intervieweuse est allée sur le terrain pour expérimenter personnellement les tentations. Source de l’image.
« En cette vie, j’ai placé [le démon] pour tenter, pour provoquer mes créatures, non pour que mes créatures soient vaincues, mais pour qu’elles triomphent de lui et reçoivent de moi la gloire de la victoire après avoir fourni la preuve de leur vertu. Personne ne doit avoir peur d’aucune bataille, d’aucun assaut du démon, parce que j’ai fait de tous des forts. Je leur ai donné une volonté intrépide, en la trempant dans le sang de mon Fils. Cette volonté, ni démon, ni aucune puissance créée ne la peut ébranler. Elle est à vous, uniquement à vous : c’est Moi qui vous l’ait donnée avec le libre arbitre. C’est donc à vous qu’il appartient d’en disposer, par votre libre arbitre, et de la retenir ou de lui lâcher la bride suivant qu’il vous plaît. La volonté, voilà l’arme que vous livrez vous-même aux mains du démon : elle est vraiment le couteau avec lequel il vous frappe, avec lequel il vous tue. Mais si l’homme ne livre pas au démon ce glaive de la volonté, je veux dire, s’il ne consent pas aux tentations, à ses provocations, jamais aucune tentation ne pourra le blesser et le rendre coupable de péché : elle le fortifiera au contraire, en éclairant son intelligence sur ma charité et en lui faisant comprendre que c’est par amour que je vous laisse tenter, pour vous faire aimer et pratiquer la vertu. Car l’on en vient à aimer la vertu que par la connaissance que l’on prend de soi-même et de moi. Et cette connaissance c’est surtout dans le temps de la tentation qu’elle s’acquiert. C’est alors que l’homme apprend bien qu’il n’est pas l’être même, puisqu’il ne peut faire disparaître des ennuis et des embarras qu’il souhaiterait pourtant d’éviter ; et il me connaît aussi Moi dans sa volonté, que ma Bonté rend assez forte pour ne pas consentir à ces pensées. Il voit bien que c’est ma charité qui en dispose ainsi : car le démon est faible ; il ne peut rien par lui-même, sinon qu’autant que je lui permets. Et moi, c’est par amour que je vous laisse tenter et non par haine, pour votre triomphe, non pour votre défaite ; et c’est pour que vous parveniez à la parfaite connaissance de vous-même et de moi ; c’est pour que votre vertu fasse ses preuves, et elle ne peut être éprouvée que par son contraire. »
Source : traduction publiée chez Téqui partiellement lisible ici.
voir le chapitre XIII, p. 142-143
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Ce texte me paraît dispenser un enseignement qui converge avec celui de l’apophtegme XCI cité avant-hier, mais il est plus riche notamment du fait de l’introduction du thème de la connaissance de soi et de la connaissance de Dieu. Un point qui me semble caractéristique de cette position qui valorise la tentation comme occasion de révéler sa vertu c’est qu’elle a pour conséquence logique – aux prix de redoutables problèmes de théodicée – l’attribution à Dieu de la responsabilité de la tentation. Dans l’apophtegme XCI cela se traduisait par le fait de prier Dieu d’ordonner qu’une lutte quelconque s’élève en nous, ce qui paraît étrange quand on se souvient que le tentateur est censé être l’Adversaire de Dieu. Dans le texte de Catherine de Sienne, le démon n’est pas éludé comme dans l’apophtegme sus-mentionné mais il est transformé en exécuteur inconscient de la volonté divine. On peut s’interroger sur la nécessité de poser cet acteur secondaire.
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