« Je comprends très bien, dit Dieu, qu’on fasse son examen de conscience.
C’est un excellent exercice. Il ne faut pas en abuser.
C’est même recommandé. C’est très bien.
Tout ce qui est recommandé est très bien.
Et même ce n’est pas seulement recommandé. C’est prescrit.
Par conséquent c’est très bien.
Mais enfin vous êtes dans votre lit. Qu’est-ce que vous nommez votre examen de conscience, faire votre examen de conscience.
Si c’est penser à toutes les bêtises que vous avez faites dans la journée, si c’est vous rappeler toutes les bêtises que vous avez faites dans la journée
Avec un sentiment de repentance et je ne dirai peut-être pas de contrition,
Mais enfin avec un sentiment de pénitence que vous m’offrez, eh bien, c’est bien.
Votre pénitence je l’accepte. Vous êtes des braves gens, des bons garçons.
Mais si c’est que vous voulez ressasser et ruminer la nuit toutes les ingratitudes du jour,
Toutes les fièvres et toutes les amertumes du jour,
Et si c’est que vous voulez remâcher la nuit tous vos aigres péchés du jour,
Vos fièvres aigres et vos regrets et vos repentirs et vos remords plus aigres encore,
Et si c’est que vous voulez tenir un registre parfait de vos péchés.
De toutes ces bêtises et de toutes ces sottises,
Non, laissez-moi tenir moi-même le Livre du Jugement.
Vous y gagnerez peut-être encore .
Et si c’est que vous voulez compter, calculer, supputer comme un notaire et comme un usurier et comme un publicain.
C’est-à-dire comme un collecteur d’impôts.
C’est-à-dire comme celui qui ramasse les impôts,
Vos péchés sont-ils si précieux qu’il faille les cataloguer et les classer
Et les enregistrer et les aligner sur des tables de pierre
Et les graver et les compter et les calculer et les compulser
Et les compiler et les revoir et les repasser
Et les supputer et vous les imputer éternellement
Et les commémorer avec on ne sait quelle sorte de piété.
Comme nous dans le ciel nous lions les gerbes éternelles,
Et les sacs de prière et les sacs de mérite
Et les sacs de vertus et les sacs de grâce dans nos impérissables greniers
Pauvres imitateurs, allez-vous à présent vous mêler, —
Et imitateurs contraires, imitateurs à l’envers, —
Allez-vous vous mettre à lier tous les soirs
Les misérables gerbes de vos affreux péchés de chaque jour.
Quand ce ne serait que pour les brûler, c’est encore trop. Ils n’en valent même pas la peine.
Pas même de cela même.
Vous n’y pensez que trop, à vos péchés.
Vous feriez mieux d’y penser pour ne point les commettre.
Pendant qu’il en est encore temps, mon garçon, pendant qu’ils ne sont point encore commis. Vous feriez mieux d’y penser un peu plus alors.
Mais le soir ne liez point ces gerbes vaines. Depuis quand le laboureur
Fait-il des gerbes d’ivraie et de chiendent. On fait des gerbes de blé, mon ami.
Ne dressez point ces comptes et ces nomenclatures.
C’est beaucoup d’orgueil. C’est aussi beaucoup de traînasserie. Et de paperasserie. »
Charles Péguy, Le mystère des saints Innocents